Do you ever wanna run away ? | Slow

Il faisait sombre. Le soleil ne tarderait plus à paraître à l'horizon, mais les terres demeuraient encore sous le joug des ténèbres et de leur bise glacée. Dans cette immensité quadrillée de brun et de noir, une silhouette solitaire avançait, semblant à la fois colosse et fourmis sous les contreforts de ces hautes montagnes. Il allait d'un trot rapide, à foulées sèches et claquante dans la profonde nuit qui s'était étendue.

Aussi alerte que s'il fut l'heure du Zénith, il ne ralentissait pas, muré dans son éternel silence sous sa pelisse corbeau. Autour de lui, les rocheuses rendaient en mille l'écho de ses pas et, bien que ses sbaots ne fussent pas ferrés, leur martèlement résonnait comme s'il eût porté des chausses de cristal.

File le vent et file le temps.

Le solitaire renâcla et s'ébroua bruyamment. Il savourait à chaque nouvelle foulée cette solitude tant chérie. Bien que portant le rang qui aurait dû lui permettre de rester seul à souhait, il devait admettre que beaucoup d'équidés sévissaient en ces terres, un peu trop sociaux à son goût. Le leur pour la conversation était... étonnant.

reprenant son allure sobre, il allongea le trot et, à foulées élastiques, continua son avancée parmi les falaises plongées dans l'ombre.

► La nuit était tombée depuis plusieurs heures, la sombre voûte céleste s'étendait jusqu'à l'horizon. Les étoiles brillaient aux cotés de la lune, qu'on voyait bien cette nuit-là. Slow leva les yeux pour observer le ciel, s'arrêtant d'un coup. Il observa les alentours, tout en ne voyant que de teintes obscures. Le silence était tombé en même temps que la nuit, et seul le vent qui faisait bruisser les feuillages parvenait à briser le mutisme des terres.

► Slow recommença à marcher comme il le faisait depuis un bon moment. Si la plupart des chevaux se reposaient, particulièrement les chevaux du Fort, l'adolescent n'était pas de ce genre. Il avait préféré ne pas fermer les yeux, ne pas se mettre à la recherche d'un abri, où il aurait été protégé de n'importe quel prédateur, il continuait de marcher, sans but, comme à son habitude. Il était pourtant à l'affût, du moindre bruit, de la moindre odeur, du moindre mouvement inhabituel. Il avait déjà assez attaqué, blessé, par les bêtes sauvages qui se mouvaient dans l'ombre, pour se faire surprendre une fois de plus.

► Ainsi, il progressait, ou plutôt errait. Ses yeux s'étaient habitués à la nuit qui régnait et distinguait de mieux en mieux les silhouettes. Au loin, il apercevait les contours flous et imprécis des montagnes de l'ombre, territoires des chevaux qui préférait la solitude à toute autre présence équine. Au final, Slow les comprenait : n'était-ce pas plaisant de tenir compagnie à quelqu'un qui vous écoute, sans vous juger? L'étalon sourit et commença à arpenter la côte rocheuse.

► Pour seule lumière l'éclat des étoiles et de l'astre lunaire qui trônait fièrement au dessus de lui, Slow trottait entre les rochers aux pointes saillantes et les rochers aussi ronds que glissants. Il esquivait les failles, ou sautait par-dessus quand ça l'arrangeait. Il s'arrêta un moment, surplombant la forêt, du haut des montagnes. Il reprit ensuite sa course aléatoire. Et, toujours, dans le noir le plus total, une masse lui fonça dessus. Elle était plutôt massive, réussit à l’assommer quelques secondes, la repoussant plus loin. Un ennemi, un prédateur? Slow secoua la tête pour se remettre les idées en place et posa les yeux sur la masse qui l'avait percuté, plissant les yeux pour découvrir une silhouette équine. Slow claqua les dents.

« T'aurais pu faire plus attention ! » déclara Slow d'un ton agressif, avec la mauvaise foi la plus totale.

Il s'était enfoncé dans l'ombre profonde d'une saillie rocheuse lorsqu'il entra violemment en collision avec l'un de ses congénères. Il se devina plus massif et plus grand que lui car s'il n'en fut déstabilisé, il sentit l'autre être projeté un peu plus loin. Ses pupilles se dilatèrent, s'acclimatant enfin à l'obscurité environnante, et il le vit secouer la tête, comme sonné. Le solitaire rabattit les oreilles.

Celui qui se dressait à présent devant lui était en effet un jeune qui, bien que montrant déjà un corps bien dessiné et des muscles frémissants, faisait figure de gringalet à côté de la haute et sombre silhouette du solitaire à la robe corbeau. Sa robe n'était pas distinguable dans les ténébères, le seul trait distinctif que l'on pouvait en tirer était cette liste blanche, qui jurait sur une toile plus sombre. Et visiblement, il ne manquait pas d'air, cat sa remarque fut pinçante, accompagnée d'un claquement de mâchoires.

Danalieth retint un soupir. A cet âge, il n'ignorait pas pour y être passé lui aussi que les étalons avaient tendance à défier tout ce qui leur passait sous le sabot. Leur fierté n'avait d'égal, et c'était peu dir elorsqu'il y avait quelques juments dans les parages. Mais cette nuit-là, ils étaient seuls, le jeune faucon et l'aigle ténébreux, à se faire face dans le secret de cette ombre profonde.

Ton âme est brave, mais tu n'es pas de mon panthéon.

Le solitaire arqua légèrement le cou, les oreilles disparues dans son épaisse crinière, étrécit les yeux et pinça les naseaux, en une mimique qui le fit paraître plus imposant encore. On n'apprenait plus le respect aux jeunes, en ces temps troublés. Il fouetta une fois l'air de sa longue queue.

En cet instant, il ne parut plus constitué de glace, mais habité d'une étrange flamme que seuls contenaient ses iris perle. Il fit un pas en avant. Nul besoin de mots, non. Il savait bien que seule son attitude ferait ployer le jeune. Il ne désirait pas, comme certains de ses congénères, une soumission absolue. Non, un simple pas en arrière, un mouvement de mâchoire, une oreille rabattue, nombreux étaient les signes qui montreraient que l'autre acceptait d'admettre qu'il était allé trop loin.

Tu es sur mes terres, ne te crois pas empereur.

Le souffle puissant du solitaire résonna derrière son poitrail massif, comme attisant la flamme du dragon endormi.